« En Iran,
l’économie est au service de la guerre »
Recueillis par Antoine d’Abbundo,
le 05/05/2017 à 15h10
ENTRETIEN Pour Mohammad Amin, chercheur associé à la
Fondation d’études pour le Moyen-Orient (1), la survie du régime iranien tient
au contrôle quasi total qu’il exerce sur l’économie du pays. Une situation que
la présidentielle qui se tiendra le 19 mai ne remettra pas en question.
Les partisans du candidat
présidentiel iranien Hassan Rouhani tiennent son portrait lors d'un
rassemblement de campagne dans la capitale, Téhéran, le 4 mai 2017 / Atta
Kenare/AFP
La Croix: Le 19 mai, les Iraniens choisiront le prochain président de la
République islamique. Quel est le poids de la question économique dans cette
élection, alors que la situation du pays est très dégradée ?
Mohammad Amin: Pour comprendre ce qui se passe en Iran, un Occidental doit changer de
lunettes, car le processus électoral ne ressemble en rien à celui des pays
démocratiques.
Le choix des candidats dépend totalement du Guide
Suprême, l’ayatollah Ali Khameini. Et les six hommes qui ont été retenus par le
Conseil des gardiens de la révolution l’ont été pour leur fidélité absolue à
son régime.
J’ajoute que sur les six qualifiés, quatre sont en
réalité des figurants, des éléments de décor d’un spectacle organisé par les
autorités. Reste donc deux candidats: le président sortant, Hassan Rohani, et
son principal rival, Ebrahim Raisi.
Le premier est souvent présenté comme un « modéré
», partisan de l’ouverture et de la libéralisation de l’économie, alors que le
second à la réputation d’être un « faucon » conservateur. Mais en réalité, il
n’y a pas de différence essentielle entre les deux hommes. Ni sur la politique
générale, ni sur la politique économique.
Ces élections se résument à la confrontation de
deux factions, deux faces d’un même pouvoir incarné par le Guide suprême
Khameini, qui dirige tout et décide de tout. C’est d’ailleurs ce qui explique
le caractère inextricable de la problématique iranienne et l’incapacité du
régime à sauver son économie.
Comment cela ?
M. A.: Dans l’étude
que j’ai conduite sur l’économie iranienne de 2005 à 2015, j’ai démontré que le
Guide Suprême contrôlait, directement ou indirectement, environ 60 % de
l’économie du pays – du pétrole aux banques en passant par l’immobilier ou
l’automobile – à travers une quinzaine de fondations ou d’institutions aux
mains de l’armée, du corps des Pasdarans – les gardiens de la révolution – ou
de milices.
Or, cette puissance économique n’est pas mise au
service du développement du pays, mais à la survie du régime à l’intérieur et à
l’expansion de son influence à l’extérieur. Il s’agit d’une économie totalement
sous contrôle, au service de la répression et de la guerre.
Ainsi, en 2017, 70 % des 37 milliards d’euros de
recettes pétrolières ont été utilisés en dépenses militaires, notamment pour
faire la guerre en Syrie, en Irak ou au Yémen.
C’est ce qui explique la déliquescence du pays
plongé dans une grave récession et où près de 40 % de la population est au
chômage. Cette situation nourrit d’ailleurs un mécontentement populaire
grandissant qui pourrait très bien déboucher sur une explosion, voire un
soulèvement comme cela s’est passé lors des élections en 2009. C’est en tout
cas la hantise du pouvoir.
Depuis l’accord sur le nucléaire de l’été 2015, les
milieux d’affaires occidentaux se sont précipités en Iran dans l’espoir de
signer des contrats. Quel regard portez-vous sur la reprise des relations
commerciales avec Téhéran ?
A. M.: L’accord sur
le nucléaire était une occasion en or pour le régime iranien de se réformer et
de montrer sa bonne volonté aux Occidentaux. Mais un an et demi après, force
est de constater que la situation s’est encore dégradée pour le peuple iranien.
En fait, la reprise des relations commerciales avec
les Occidentaux n’est qu’un moyen pour Téhéran de renforcer son pouvoir
théocratique et dictatorial. Et les entreprises qui travaillent avec le régime
doivent savoir qu’elles ne font que le renforcer et alimentent du même coup les
guerres qu’il mène, même si c’est à leur corps défendant.
Recueillis par Antoine d’Abbundo
(1) Coauteur de « Où va l’Iran ? ». À paraître le
15 mai aux éditions Autrement